On ne fait sûrement rien comme les autres, chez les Kerner. Nos parents auraient pu croire qu’en tant que fils ainé, j’allais forcément reprendre la forge de notre père et ma petite sœur, l’officine de notre mère. Bah non ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé mais l’inverse enfin techniquement j’ai repris le savoir de ma mère sans pouvoirs et ma petite sœur…bah elle est forgeron… ronne, je ne sais pas si ça se féminise. Bien sûr nous étions tous les deux fascinés par ce que l’un et l’autre étaient capables de faire. J’ai bien entendu appris le métier de forgeron et tous les stades de la métallurgie mais j’ai été davantage attiré par le pouvoir et la grande sagesse de notre mère. Une sorcière de la terre. Je me demande si notre mère avait été liée au feu, si leur union aurait été mieux acceptée… tout bien réfléchi, non, je ne le crois pas. La meute, à laquelle mon père appartenait, semblait bien trop conservatrice dans ses rites et coutumes ancestrales. L’idée même qu’un sang-mêlé puisse voir le jour était une abomination. Mes parents ont donc dû fuir leur terre natale avant que le ventre trop arrondi de ma mère ne lui permette plus de le faire. Il avait été décréter par les bienpensants, que l’abomination – moi - n’aurait pas droit au chapitre sitôt né. C’est à la suite d’un long périple, que mes parents ont trouvé une terre et une communauté hippie pour les accueillir. Je suis né dans une commune de Saxe à Moritzburg. Lacs et forêts le paradis dans un sens pour notre espèce.

Sur ma nature, mes parents ne m’ont jamais rien caché, ni à ma petite sœur. Je savais qu’un jour la bête se réveillerait et qu’il fallait rester vigilant face aux signes annonciateurs. D’après mon père, cela pouvait se manifester par des rêves/cauchemars répétitifs, des sens plus accrus et sensibles aux émotions à l’approche de la pleine lune. Pour mon père, cela a signé son passage vers l’adolescence, je m’étais bien foutu de lui à l’époque. En même temps, je n’étais âgé qu’un gamin qui découvrait qu’il possédait une toute puissance en lui. C’est con à dire mais je sentais un peu comme dans la peau d’un super héros, faut dire que j’étais fan des Marvel. Entre temps, ma petite sœur est née. Moi, je n’avais pas encore subi les aléas de ma véritable nature et ça m’allait très bien dans un sens. Quand je voyais toutes les précautions à prendre pour que notre père ne provoque pas des dégâts collatéraux et répressibles, j’avoue que ça ne me donnait pas envie d’être enchainé dans une pièce insonorisée comme dans un asile psychiatrique.

Plus j’avançais vers mes seize ans, plus je commençais à redouter ma transformation. Ma tête se remplissait de questions, un vrai bordel en plus de l’ébullition de mes hormones de pré-ado. Et si mentalement je n’étais pas prêt ? Ou pire encore que je ne puisse rien contrôler malgré les enseignements de mon père… ? Autant dire que je n’en menais pas large et que mes rêves de gosse, d’être un super héros poilu, étaient bien rangés dans un coffre, lui-même enterré dans le sous-sol d’une cave. Inutile de dire que je n’avais pas envoyer balader ma petite sœur, qui me tannait pour l’accompagner aux ruines de la vieille bâtisse. Une zone interdite et dangereuse mais qui n’empêchait pas quelques gosses de s’y rendre. Ce n’est que bien plus tard, que je réalise qu’elle n’était plus dans les parages. Peut-être était-elle avec notre mère ou une copine de son âge… Pas de petite sœur. Nulle part. Les ruines s’imposent aussitôt à moi, de même que l’angoisse qu’il lui soit arrivée quelque chose là-bas. Elle est tellement têtue et bornée que ça ne m’étonnerait pas qu’elle y soit allée seule. Je n’ai jamais couru aussi vite de toute ma vie. Aux abords des ruines, je crie/hurle son nom…je ne sais pas si ça vient de là mais tous mes sens semblent être décuplés. Odorat, ouïe surtout. Elle est bien venue ici dans les ruines, ça ne fait pas un doute, je reconnais son odeur mais ce qui m’inquiète c’est une odeur inconnue pourtant je connais tout le monde dans le coin. La piste me conduit plus profondément dans la forêt jusqu’à une cabane de chasse habituellement inhabitée. L’adrénaline, le stress tout bouillonne en moi et ne me permet pas de réfléchir. Je pénètre en poussant violemment la porte de cette cabane. L’odeur de ma petite sœur me prend au nez pourtant je ne la vois pas dans la pièce unique. Je l’appelle mais n’entends que des sons étouffés provenant du sol. Mon regard se pose sur ce qui semble être une trappe. Au moment où je la soulève, j’aperçois ma petite sœur bâillonnée, poings et pieds liés. Un coup brutal derrière la nuque me fait perdre connaissance… lorsque je parviens à retrouver mes esprits, je suis allongé sur le sol à coté de ma sœur, poings et pieds liés aussi. Après plusieurs minutes, j’arrive à me redresser juste au moment où la trappe ouvre sa bouche béante de lumière sur nous. Un homme bedonnant d’une cinquantaine d’année descend lourdement l’escalier en bois. Je ne saurais dire à quoi nous avions à faire mais il ne s’agissait pas d’un simple humain.

Il se félicite de voir réveillé et jubile de me sentir impuissant pendant qu’il s’occupera de « détailler » ma petite sœur. Ma rébellion l’amuse beaucoup quand il soulève ma sœur pour grimper les escaliers. Que je ne m’inquiète pas mon tour viendra juste après. Que voulait-il dire par détailler ? Je m’agitais, contractais mes muscles pour me défaire de mes liens. Plus je m’agitais, plus mon sang s’échauffait.

Je me souviens d’un conte que j’avais oublié car il faisait parti de ces soirées à se filer la trouille autour d’un feu de camp. Dans ce conte, il était question d’un ogre qui se délectait de jeunes enfants… la légende disait qu’il ne revenait que tous les trente ou quarante ans pour faire ses provisions avant de se terrer. Clairement, je n’y croyais pas à cette histoire même en étant ce que j’étais. Mais à présent…

Les cris de ma petite sœur sont un électrochoc suivi d’une douleur indescriptible quand je subis cette mutation partielle tant redoutée. Je saurais dire qu’elle est mon allure mais ma force décuplée fait céder les liens. Il ne ma faut pas longtemps pour jaillir du sous-sol et bondir sur l’infâme créature. Mes crocs se plantent dans sa jugulaire tandis que mes griffes s’acharnent à le dépecer, profitant de l’effet de surprise. Je n’avais pas la même force qu’aujourd’hui mais poussé par un élan de rage, je lui arrache le cœur.  Le corps s’écroule. Ma main laisse tomber le cœur broyé à côté.

Couvert de sang avec mon aspect mi-homme mi-loup, ma petite sœur est tétanisée. C’est au prix d’un effort tout aussi douloureux que je retrouve un visage humain. J’ai mis le feu à la cabane de chasse.

Notre mésaventure ne déclencha pas les foudres de nos parents mais à présent j’étais condamné à tenir compagnie à mon père dans une autre cellule les soirs de pleine lune.